Vers de nouveaux équilibres globaux : les mutations chinoises et leurs implications pour l’Europe

 

Au cours des quinze dernières années, la Chine a engagé une transformation profonde de son modèle économique. S’éloignant progressivement de son rôle d’ « usine du monde », elle poursuit une stratégie de montée en gamme fondée sur l’innovation technologique, la souveraineté industrielle et l’internationalisation de ses champions nationaux. Cette transition dépasse la simple évolution cyclique : elle marque un basculement structurel vers un modèle centré sur la qualité de la croissance, l’innovation technologique et une projection accrue de sa puissance économique à l’échelle mondiale.

 

Cette dynamique s’inscrit dans une stratégie planifiée et cohérente, portée au plus haut niveau de l’État chinois. Le 20e Congrès du Parti communiste chinois, en octobre 2022, a réaffirmé les grands objectifs de cette réorientation : accélérer le développement de haute qualité, renforcer l’autosuffisance dans les technologies stratégiques, et construire une économie de marché socialiste « de haut niveau ». Ces orientations s’appuient sur des leviers puissants : une augmentation constante des dépenses de R&D (plus de 2,5 % du PIB), un soutien public massif à des secteurs clés comme les semi-conducteurs, les véhicules électriques, les énergies renouvelables ou encore l’intelligence artificielle, et un renforcement des instruments de planification à moyen et long terme.

 

Parallèlement, la Chine déploie une stratégie d’internationalisation offensive, notamment à travers l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie (BRI). Loin de se limiter à la construction d’infrastructures, cette initiative constitue aujourd’hui un vecteur global d’influence, englobant la connectivité numérique, la logistique, les flux financiers et l’accès aux matières premières critiques. Elle reflète une ambition : remodeler les circuits économiques mondiaux dans une logique multipolaire, où Pékin aspire à jouer un rôle de centre structurant.

 

Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte international marqué par une recomposition accélérée des interdépendances. La rivalité technologique entre la Chine et les États-Unis, l’instabilité géopolitique croissante, les enjeux climatiques et la numérisation de l’économie mondiale imposent aux acteurs internationaux de repenser leurs leviers d’action et leur positionnement stratégique.

 

Dans ce nouveau paysage, l’Europe se trouve confrontée à plusieurs défis :

• Préserver un lien économique dense avec la Chine, tout en veillant à éviter les effets de déséquilibre, notamment en matière de surcapacités industrielles ou de dépendance technologique dans des secteurs critiques ;

• Assurer sa souveraineté économique et technologique, à travers des politiques d’investissement ciblées, une meilleure maîtrise des chaînes de valeur et une coordination accrue entre États membres ;

• Affirmer un rôle structurant dans la gouvernance économique mondiale, en défendant un multilatéralisme rénové, capable d’intégrer les nouvelles puissances tout en protégeant les principes de transparence, de réciprocité et de durabilité.

 

Dans cette perspective, plusieurs lignes d’action méritent d’être explorées :

• Une coopération sélective avec la Chine sur les grands enjeux transnationaux (climat, santé, infrastructures durables, normes industrielles), dans un cadre clarifié et équilibré ;

• Une politique industrielle européenne plus ambitieuse, articulée autour des technologies clés (hydrogène, cloud, semi-conducteurs, IA, défense), soutenue par des mécanismes de financement mutualisés et un cadre réglementaire adapté ;

• Un dialogue stratégique renforcé avec les autres grands pôles régionaux (Asie du Sud-Est, Afrique, Amérique latine) pour diversifier les partenariats économiques et créer de nouveaux équilibres de croissance.

 

Les mutations chinoises ne dictent pas une réponse unique ni uniforme. Elles constituent un élément structurant du paysage global, auquel l’Union européenne doit répondre avec lucidité, vision et détermination. Seule une approche proactive, fondée sur l’anticipation des transformations, la mobilisation des ressources collectives et la défense de ses valeurs fondamentales, permettra à l’Europe de rester un acteur souverain et influent dans l’économie mondiale en recomposition.

 

Fidèle à sa vocation historique, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale entend pleinement contribuer à cette réflexion globale sur les grandes mutations qui redéfinissent les équilibres géoéconomiques. À travers son programme "Renaissance industrielle", elle œuvre à la redynamisation du tissu industriel français, dans un esprit d’ouverture, de lucidité stratégique et de dialogue avec les transformations du monde.